Sophie
CAUVIN
Ressourcer la peinture en convoquant des matières auxquelles l’on redonne vie, revisiter les formes géométriques primordiales afin de mettre à jour les invariants du temps, redistribuer le partage de l’écriture et du figural : en ce triple geste, Sophie Cauvin assied la singularité de sa démarche. L’exploration de matériaux naturels (bois, sable, métal, cendre...) se double de l’invention d’un langage dont il revient à chaque spectateur de déchiffrer les signes. La peinture passe au-delà d’elle-même par le jeu des textures, les éléments graphiques, la chair du temps qu’elle donne à voir. Le travail de l’artistes ne se contente pas d’interroger le statut de la trace, de l’empreinte du passé, de l’érosion des marques, mais se situe au point où le visible libère des forces, des énergies enfouies. Travaillant sur des grands formats où dominent les tons beige, blanc, ocre gris, Sophie Cauvin exhume les vestiges d’un inconscient collectif et donne un site aux couches géologiques du temps. La récurrence du cercle, de symboles spirituels, de chiffres laissés à leur énigme, la densité des matières font de chaque tableau une cosmogonie au fil de laquelle le temps des origines se raconte. Plus que de cosmogonies, l’on pourrait parler de chronogonies ou de chronotopies tant le temps se donne à voir, comme un palimpseste, au travers des empâtements, des craquelures et coulées de matières. La peinture devient cette échelle – laquelle revient souvent dans les œuvres, de l’artiste – qui permet de recontacter des mondes originels, de recréer le mouvement génétique de l’univers et de grimper vers l’ailleurs. Dans les paysages mentaux qu’elle nous livre, l’artiste ouvre des voies d’interrogation, jonche le parcours de formules laissées à l’indétermination, propose des pistes, jamais de clés. Chaque tableau offre un questionnement, un voyage archéologique vers l’aube des civilisations et se dresse comme un portique qui nous mène au-delà du réel tangible. La charge de matière qui donne assise à chaque composition libère une teneur spirituelle, jouant de ce contraste entre poids physique et envol dans les hauteurs. L’impression d’équilibre formel, de plénitude que dégagent ses tableaux ne va pas sans la perception d’un souffle, d’un dynamisme : celui-là même qui insère la peinture dans une démarche spirituelle où ce qui donne à voir est aussi ce qui invente de nouvelle manières de penser et d’être. Véronique
Bergen.
La peinture de Sophie Cauvin ne laisse pas indifférent. Au contraire, elle force la contemplation, suscite des questions. Il y a la lourdeur du matériau. Il y a le caractère explicitement ‘archéologique’ de son puissant langage pictural. Et il y a les textes mystérieux et estompés, enfouis dans la matière. Tous ces éléments renvoient le regard et l’esprit aux sens énigmatiques et cachés de son œuvre. Pourtant, cette artiste ne livre pas si facilement ses secrets. Ses peintures sont trop solides et durables pour cela. Nous ne pouvons pas percevoir les choses car elles sont masquées par la façade sublime de la maîtrise. Tout art grandiose n’est-il pas un art de façade? Ses peintures ne poussent pas de cris personnels: pour Cauvin, la toile est un terrain de méditation et de spiritualité. 'Je considère ma peinture comme une réponse positive à la perte de valeurs', commente l’artiste avec conviction. Le fait que Cauvin ait choisi le département Culture chinoise du Musée du Cinquantenaire n’est certainement pas un hasard. Ses nombreux voyages – elle s’est rendue à plusieurs reprises en Chine et au Japon – lui ont permis d’approfondir sa connaissance du taoïsme. Le disque Pei dans la salle voisine est son objet de prédilection. 'Le cercle est le symbole de la perfection et inspire tout un chacun'. Le cercle revient également dans ses peintures en tant que signe emblématique. Dans le contexte archéologique de l’usé et des formes vagues, elle offre un voyage dans le temps au regard du spectateur. Cauvin représente ce temps via l’application de diverses couches et la patine des matériaux naturels utilisés tels que le sable et le bois. Au département Chine du musée, son œuvre noue donc inévitablement un dialogue avec les objets avoisinants. Autre donnée essentielle, l’artiste ne touche plus aux couleurs synthétiques depuis un voyage en Egypte. Les moyens picturaux supplémentaires (bois et sable) confèrent à son œuvre une texture voulue et apaisante correspondant à la suggestion du temps et de la culture révolue. Les matériaux utilisés ont déjà une vie derrière eux et chargent les toiles de significations toutes particulières. C’est à cela que son art doit son rayonnement unique, voire son aura mystique. Les formes semblent refluer du plan de l’image, de sorte que toute information lisible échappe au spectateur... comme si la matière refusait de se livrer à l’avidité des regards. De fait, la qualité de l’art de Cauvin réside dans la chimie active entre la forme, le contenu et le signalement. Philip
Willaert Critique d'art
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